Le 13 novembre 2025, le tribunal judiciaire de Strasbourg a rendu une décision sans précédent : la Caisse nationale d’Assurance maladie (CNAM) a été reconnue coupable d’homicide involontaire et condamnée à une amende de 50 000 euros. En cause : le suicide d’une médecin conseil de 44 ans, survenu en décembre 2023 dans les locaux mêmes de l’établissement, au troisième étage des bureaux strasbourgeois.
Cette affaire, qui a profondément marqué le monde de la santé au travail dans le Bas-Rhin, met en lumière la responsabilité pénale des employeurs publics face aux risques psychosociaux. Pour la première fois, un tribunal établit un lien direct entre les conditions de travail imposées par l’Assurance maladie et le geste tragique d’une de ses salariées.
Le drame du 12 décembre 2023 : quand le planning devient insupportable
Ce jour-là, la praticienne reçoit son planning pour le mois suivant. La charge de travail prévue augmente significativement. Quelques heures plus tard, elle se défenestre depuis son bureau. Le choc est immense pour ses collègues de l’Echelon local du service médical du Bas-Rhin, où elle avait été embauchée seulement sept mois auparavant, en mai 2023.
L’inspection du travail mène l’enquête et ses conclusions sont accablantes : la médecin conseil était « débordée« , victime d’une surcharge professionnelle que son employeur n’a pas su prévenir ni gérer. En octobre 2024, l’inspection adresse un signalement au procureur de la République, estimant qu’il s’agit d’un homicide involontaire imputable à la CPAM.

Une jurisprudence qui redéfinit l’obligation de vigilance
La décision du tribunal strasbourgeois fait date. En validant la responsabilité directe de la CNAM, les magistrats reconnaissent que « le comportement fautif de l’employeur était le facteur déclencheur du suicide« . Cette qualification pénale d’homicide involontaire dans le contexte du secteur médical public constitue une première juridique majeure.
La Fédération CFDT de la protection sociale, partie civile au procès, salue un jugement qui « reconnaît une faute dans la gestion du bien-être psychosocial des salariés« . L’audience de début octobre avait déjà vu le procureur requérir cette amende de 50 000 euros, montant maximum pour ce type d’infraction, confirmant la gravité des manquements constatés.

Des conditions de travail sous le feu des projecteurs
Cette tragédie strasbourgeoise soulève des questions cruciales sur les conditions d’exercice des médecins conseils de l’Assurance maladie. Recrutée quelques mois seulement avant le drame, la praticienne s’est rapidement trouvée confrontée à une charge de travail croissante, sans que les signaux de détresse n’alertent suffisamment sa hiérarchie.
Le cas fait écho à d’autres situations de souffrance au travail dans le secteur médico-administratif, mais sa reconnaissance pénale change la donne. Les employeurs publics et privés du secteur de la santé sont désormais avertis : la négligence face aux risques psychosociaux peut engager leur responsabilité pénale directe.

Quelles leçons pour les employeurs du Grand Est ?
Au-delà du symbole, cette condamnation interroge toutes les structures employeuses de la région. Comment prévenir l’épuisement professionnel ? Comment détecter les signaux faibles de mal-être ? Quelle formation pour les managers face aux risques psychosociaux ?
Dans le Bas-Rhin, les organisations syndicales et les professionnels de santé au travail appellent à un renforcement des dispositifs de prévention. La question de la charge de travail dans le secteur médical, particulièrement tendu depuis la crise sanitaire, reste plus que jamais d’actualité.
Cette affaire strasbourgeoise restera dans les annales juridiques comme un tournant dans la reconnaissance de la souffrance au travail et du devoir de protection des employeurs envers leurs salariés.
