100 Strasbourgeois tirés au sort ont tranché. Après six mois de débats intenses, la Convention citoyenne Tram Nord a rendu son verdict : le tramway doit passer par le cœur de Schiltigheim, et non par la route du Général-de-Gaulle comme prévu initialement. Un choix qui bouleverse le projet et redessine l’avenir des mobilités dans le nord de l’Eurométropole.
Le projet initial remis en cause par les citoyens
Le précédent tracé avait essuyé un avis défavorable lors de l’enquête publique de 2024. Trop direct, trop rigide, il avait cristallisé les oppositions à Schiltigheim et Bischheim. L’Eurométropole a alors tenté un pari démocratique audacieux : confier le dossier à une assemblée citoyenne représentative. De avril à octobre 2025, 100 habitants de l’Eurométropole, issus de tous horizons, ont planché sur la question : « Selon quelles modalités et à quelles conditions la desserte en tramway des communes nord vous semble la plus adaptée ? ».
La réponse est tombée le 4 octobre. Elle rompt avec le projet initial. Le tracé privilégié passe désormais par le centre-ville de Schiltigheim, la route de Bischwiller, puis la friche Heineken. Objectif : redonner une centralité à la commune, desservir la médiathèque, la mairie, les commerces, tout en reliant le quartier des Écrivains au reste de l’agglomération. Pour les conventionnels, c’est une question d’équité territoriale et d’efficacité.


Un passage par Schiltigheim, pas par Bischheim
Autre surprise : le tramway ne desservira pas la gare de Bischheim, trop peu fréquentée selon l’assemblée citoyenne. Il passera plutôt par le secteur des Trois Epis et le quartier des Généraux, jugés plus denses et stratégiques. La friche Heineken devient un pivot du projet : un parking-relais en silo y est prévu pour compenser les suppressions de stationnement le long du tracé.
Le terminus ? Pour l’instant, il s’arrête à Bischheim. Les citoyens proposent de ne pas prolonger immédiatement la ligne vers Hœnheim ou Vendenheim, pour maîtriser les coûts et éviter de nouvelles expropriations. Un parking-relais sera aménagé au terminus, accessible depuis l’autoroute pour capter les automobilistes avant qu’ils n’entrent dans l’agglomération.

Raccordement au centre : plusieurs options sur la table
Sur le raccordement au centre-ville de Strasbourg, les conventionnels n’ont pas trouvé de consensus définitif. Ils privilégient un passage par la rue du Faubourg-de-Pierre, qui offre un accès direct à la Grande Île sans saturer la station Homme de Fer. Mais d’autres options restent ouvertes : un tracé via la Neustadt et l’avenue des Vosges jusqu’à République, ou encore une desserte de la gare de Strasbourg par le boulevard Wilson.
La majorité de la Convention souhaite que des études techniques approfondies confirment la faisabilité de ces options avant de trancher. L’idée : anticiper la modification du réseau existant pour éviter de retravailler le maillage dans dix ans, tout en phasant le projet pour garantir son acceptabilité.

Végétalisation, circulation automobile et sécurité au cœur des préoccupations
Au-delà du tracé, les citoyens ont formulé des recommandations précises sur l’insertion du tramway dans la ville. La végétalisation est une priorité : elle doit accompagner la ligne pour lutter contre les îlots de chaleur et améliorer le cadre de vie, surtout dans les quartiers denses. Mais elle ne doit jamais empêcher l’installation du tramway ni gêner l’accessibilité.
Sur la circulation automobile, pas d’unanimité. La majorité défend une approche d’incitation plutôt que de contrainte : il faut rendre le tramway attractif, pas diaboliser la voiture. Dans les rues larges, deux sens de circulation et le tramway en double voie peuvent coexister. Dans les rues étroites, la circulation automobile pourrait être reportée, mais jamais sans alternatives : parkings-relais, dépose-minute, stationnement résident à proximité.
Les cyclistes ne sont pas oubliés. Le réseau cyclable, jugé dangereux à Schiltigheim, Bischheim et place de Haguenau, doit être sécurisé et complété. La Convention recommande des pistes larges, séparées des piétons, notamment sur la route de Bischwiller et la route du Général-de-Gaulle.
La place de Haguenau : un nœud à repenser
La place de Haguenau concentre les enjeux. Les citoyens veulent y maintenir le viaduc pour fluidifier la circulation, embellir le parc et créer un parking-silo pour compenser les suppressions de places. Ils proposent aussi d’empêcher les voitures de faire le tour de la place et d’orienter le trafic de transit vers la M35.
Le projet devra aussi composer avec les contraintes du centre-ville : le Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV) impose des règles strictes dans le secteur de la Neustadt et de la gare. Les citoyens estiment qu’une négociation avec l’Architecte des Bâtiments de France est indispensable pour faire avancer le dossier.

Un projet à 70% de consensus
L’avis citoyen a été voté le 4 octobre avec une exigence de majorité qualifiée à 70%. La plupart des propositions ont obtenu ce seuil, signe d’un travail collectif abouti. Quelques points n’ont pas atteint les 70% : le passage par la gare de Strasbourg, le tracé via l’avenue des Vosges, ou encore certaines modalités de circulation. Ces options restent documentées dans le rapport mais ne font pas consensus.
Les conventionnels insistent : ce projet doit être accepté par la population pour ne pas se heurter à une nouvelle opposition. Ils recommandent à l’Eurométropole de concerter largement les riverains, les commerçants, les usagers, à chaque étape du projet. Et de réutiliser la méthode de la convention citoyenne pour d’autres dossiers clivants.

Et maintenant ?
La balle est dans le camp de l’Eurométropole. Les élus doivent désormais se saisir de cet avis citoyen pour définir le tracé définitif. Les études techniques vont s’accélérer, notamment sur le raccordement au centre-ville et l’insertion dans Schiltigheim. Le calendrier reste flou, mais une chose est sûre : le Tram Nord ne ressemblera pas au projet de 2024. Les citoyens ont imposé leur vision. Reste à savoir si elle sera suivie.
