Fin septembre 2025, une convention signée à Metz entre Le Souvenir français et la région Grand Est a ouvert une page mémorielle inédite : les Malgré-nous d’Alsace et de Moselle pourront désormais être inscrits « Morts pour la France » sur les monuments aux morts communaux. Une reconnaissance attendue par certaines familles depuis des décennies, mais qui soulève une question vertigineuse : comment honorer des hommes tombés sous commandement nazi, alors qu’ils n’avaient jamais choisi ce destin ?
Qui étaient les Malgré-nous du Bas-Rhin et d’Alsace ?
Entre 1942 et 1945, plus de 130 000 Alsaciens et Mosellans ont été incorporés de force dans la Wehrmacht allemande. L’Alsace et la Moselle, annexées de fait par le IIIe Reich dès 1940, sont redevenues allemandes aux yeux de Berlin. Les jeunes hommes de ces territoires ont été enrôlés, souvent sous la menace de représailles contre leurs familles. Environ 40 000 d’entre eux ne sont jamais revenus, principalement tombés sur le front de l’Est, dans des conditions effroyables.
À Strasbourg et dans le Bas-Rhin, de nombreuses familles portent encore le poids de cette tragédie silencieuse. Des fils, des frères, des pères disparus dans l’enfer de Stalingrad ou des steppes russes, sans avoir jamais combattu volontairement pour l’Allemagne nazie.

Une inscription sur les monuments : pourquoi maintenant ?
La convention signée entre Le Souvenir français et le Conseil régional du Grand Est permet désormais à toutes les communes alsaciennes et mosellanes d’inscrire les noms des Malgré-nous morts au combat avec la mention officielle « Mort pour la France ». Un recensement exhaustif a été mené dans le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et la Moselle pour identifier ces victimes et permettre aux municipalités de compléter — ou de créer — des listes commémoratives.
Cette mesure vise à réparer ce que beaucoup qualifient d’« omission mémorielle ». Jusqu’ici, de nombreuses communes du Bas-Rhin refusaient d’apposer ces noms, par crainte de confusion ou par fidélité à une certaine lecture de l’histoire. Lors des commémorations du 80e anniversaire de la Libération de Strasbourg, le président Emmanuel Macron avait évoqué le sort des Malgré-nous comme un « crime de guerre » à reconnaître et à enseigner, ouvrant la voie à cette reconnaissance officielle.

Le cœur du problème : morts pour la France ou victimes du nazisme ?
C’est ici que le débat prend toute son ampleur. Les Malgré-nous sont morts sous l’uniforme allemand, portant la croix gammée, parfois dans des combats contre les Alliés. Inscrire « Mort pour la France » sur leur nom revient-il à effacer cette réalité historique ? Ou au contraire, à rendre justice à des hommes qui n’ont jamais eu le choix ?
Pour de nombreuses familles strasbourgeoises et bas-rhinoises, cette inscription est une réparation légitime : ces hommes étaient français, ont subi une annexion illégale, et sont morts victimes d’un système totalitaire. Ils n’ont jamais trahi la France ; la France les a perdus malgré elle.
Mais pour d’autres, cette reconnaissance pose un problème mémoriel insoluble : comment placer sur un même monument les noms de résistants morts pour libérer la France et ceux d’incorporés de force tombés sous commandement nazi, même malgré eux ? La nuance historique risque de se perdre dans la pierre gravée.

Strasbourg et le Bas-Rhin face à leur mémoire
À Strasbourg, plusieurs monuments aux morts pourraient prochainement accueillir ces nouveaux noms. Dans les villages du Bas-Rhin, certaines communes ont déjà exprimé leur volonté d’honorer enfin ces disparus. D’autres restent réticentes, conscientes de la complexité du geste.
Cette décision ne clôt pas le débat : elle l’ouvre. Elle invite les Alsaciens à se réapproprier une part douloureuse de leur histoire, à nommer ce qui fut longtemps tu, et à interroger ce que signifie vraiment « mourir pour la France » quand on n’a jamais eu la liberté de choisir son camp.
La mémoire des Malgré-nous n’est pas seulement une affaire de pierre et de gravure. C’est un miroir tendu à l’Alsace, à son identité frontalière, à ses blessures jamais tout à fait refermées.
