Fin 2023, un avocat au barreau de Strasbourg, alors président de la Commission des droits de l’Homme, propose une motion pour alerter sur les risques de représailles contre les Palestiniens dans le contexte de la guerre à Gaza. Le texte accompagnait une condamnation des crimes commis contre des civils israéliens. Mais la proposition est rejetée par ses pairs. Quelques jours plus tard, le président est limogé de son poste, puis totalement écarté de la commission qu’il dirigeait, selon Rue89 Strasbourg.

L’affaire aurait pu s’arrêter là. Mais l’avocat devient alors la cible de moqueries sur la liste de diffusion interne du barreau. Des messages ironiques circulent parmi ses confrères, créant un climat qu’il dénonce comme hostile et discriminatoire.

Le Défenseur des droits pointe une « présomption de discrimination »

Face à cette situation, l’intéressé saisit le Défenseur des droits. L’institution rend un avis sans équivoque : les faits « laissent présumer une discrimination en raison des opinions politiques », rapporte StreetPress. Deux procédures disciplinaires sont lancées contre le professionnel en 2024, mais elles aboutissent toutes deux à un classement sans suite, ne retenant aucune faute professionnelle à son encontre.

Pourtant, le barreau de Strasbourg maintient sa position. Interrogé par StreetPress, il justifie la décision par des considérations liées à « l’organisation interne » et rejette toute accusation de discrimination.

Une démission en forme de protestation

Le concerné dénonce publiquement une différence de traitement flagrante. Le barreau de Strasbourg a adopté des motions sur l’Afghanistan ou la Tunisie, mais aucun texte concernant Gaza, selon ses déclarations relayées par Rue89 Strasbourg. Exclu de toutes les commissions, l’avocat finit par démissionner du Conseil de l’Ordre en 2024, après cinq ans de mandat.

Pour lui, cette affaire révèle une ligne rouge implicite au sein de l’institution : certains sujets géopolitiques peuvent être abordés, d’autres non. Une posture qu’il juge incompatible avec les valeurs défendues par une commission des droits de l’Homme.

Un barreau strasbourgeois sous tension

Cette affaire intervient dans un contexte professionnel tendu pour les avocats strasbourgeois. En juillet 2024, plusieurs confrères se mobilisaient après la diffusion d’une liste d’avocats « à éliminer » sur des sites d’extrême droite, comme le rapportaient Rue89 Strasbourg et Les Dernières Nouvelles d’Alsace. La profession réaffirmait alors son attachement à l’indépendance et à la liberté d’expression.

L’éviction de cet avocat interroge justement ces principes : jusqu’où un membre du barreau peut-il s’exprimer sur des sujets sensibles, même au sein d’une commission dédiée aux droits fondamentaux ? Et quelle cohérence lorsque certaines crises internationales font l’objet de motions officielles, et d’autres non ?

L’affaire reste ouverte sur le plan symbolique. Si les procédures disciplinaires sont closes, la question posée par ce professionnel strasbourgeois résonne au-delà du Palais de Justice : peut-on défendre les droits humains… selon la géographie ?