Le Racing Club de Strasbourg traverse l’une des crises les plus graves de son histoire récente. Depuis l’arrivée du consortium BlueCo, propriétaire également de Chelsea FC, la fracture entre les supporters historiques et la direction s’est transformée en véritable gouffre. Ce qui était au départ une inquiétude légitime sur la multipropriété est devenu un conflit ouvert, marqué par des sanctions, des silences et désormais, des accusations de manipulation.

Le 27 septembre 2025, la plateforme « Strasbourg c’est nous » a publié un communiqué de soutien aux supporters du Racing, dénonçant la stigmatisation dont ils font l’objet. « Le Racing Club de Strasbourg n’appartient pas qu’à ses actionnaires : il appartient à toute une ville, à toute une région, et à des générations de passionnés« , peut-on y lire. Un message qui résonne d’autant plus fort que la situation s’est encore envenimée lors du match contre l’OM.

Match contre Marseille : deux tribunes, deux visions du Racing

Le 29 septembre, lors de la rencontre face à l’Olympique de Marseille au Stade de la Meinau, une scène surréaliste s’est déroulée. En tribune Est, les Ultra Boys 90 ont déployé une banderole proclamant : « LA LIBERTÉ D’EXPRESSION EST UN DROIT, PAS UN PRIVILÈGE ! ». Réaction du stade ? Des sifflements massifs. De l’autre côté, en tribune Ouest, une autre banderole apparaissait, celle des Racing Girls, soutenue par Sabryna Keller, l’épouse du président, et déployée avec l’aide des Elsass Racing, du Racing 68 et des Dragons Bleus.

Le détail qui choque : cette seconde banderole a été imprimée par le club lui-même, respectant même la charte graphique officielle du RCSA. Un privilège financier qui contraste violemment avec la suspension du système de collecte dont bénéficiaient les Ultra Boys, décidée il y a deux semaines dans le cadre d’une nouvelle « orientation » du club.

Des accréditations généreuses… pour certains

L’affaire prend une tournure plus troublante encore avec la révélation de l’octroi d’accréditations facilitant l’accès aux tribunes. La troupe théâtrale Les Improvisateurs, rejointe par les Troubadours ont tous bénéficié d’un accompagnement du club « pour garantir leur sécurité et les aider au niveau organisationnel« . Des accréditations leur ont été fournies pour « se déplacer plus librement et mieux se répartir« .

Ironie du sort : StrasInfo, média local couvrant l’actualité du club, n’a jamais obtenu de réponse favorable à ses multiples demandes d’accréditation. « Il n’est pas habituel de voir des supporters porter des badges d’accréditation visibles« , confie un observateur régulier de la Meinau. « Cela soulève la question : sont-ce de vrais supporters ou des employés ponctuels pour animer la tribune Est, puisque les ultras ne l’animent plus ?« 

Plus troublant encore, certains de ces nouveaux « animateurs » auraient tweeté « Nik le Racing » en 2023 et affiché leur soutien au PSG ces dernières années, comme l’ont repéré plusieurs supporters sur les réseaux sociaux. « Là sur la soirée d’hier, on a quand même vu des gens qui ont tweeter ‘Nik le Racing’ en 2023. C’est problématique« , témoigne un abonné de longue date. « De plus, ils avaient tous un maillot tout neuf et font partie d’une très grosse troupe de théâtre. Ils en ont fait la promo avant la rencontre… Était-ce une prestation commandée par le club ? Ce serait honteux.« 

Quand le sponsor officiel se moque du club

Le malaise est tel que même Winamax, sponsor maillot du Racing, s’est permis une saillie douteuse sur X (anciennement Twitter) pendant le match : « Grosse entame de match de Chelsea mais l’OM tient bon. » Une référence directe aux accusations selon lesquelles le Racing ne serait qu’un club satellite de Chelsea, une filiale au service du projet londonien plutôt qu’une institution alsacienne indépendante.

Un soutien inattendu venu d’Allemagne

Dans ce contexte délétère, les Ultra Boys ont reçu un soutien symbolique fort : celui des supporters du Karlsruher SC, club historique qui partage avec Strasbourg une culture ultras ancrée et un attachement viscéral à l’identité locale. Ce geste transfrontalier souligne l’ampleur de la solidarité entre groupes de supporters face à ce qu’ils perçoivent comme une dérive gestionnaire.

La mairie appelée à l’aide

Face à cette crise, Soraya Ouldji, élue municipale, a posé une question d’actualité lors du Conseil Municipal du 29 septembre 2025 : « La Ville de Strasbourg choisira-t-elle, dans le cadre de ses responsabilités démocratiques, d’instaurer une médiation afin de favoriser un dialogue apaisé entre le Racing Club de Strasbourg et ses supporters, acteurs essentiels de sa vie et de son histoire ?« 

L’élue rappelle que la Ville de Strasbourg, propriétaire du Stade de la Meinau et cofinanceur de sa rénovation avec des fonds publics, ne peut rester indifférente. Elle propose la mise en place d’une instance de médiation tripartite réunissant direction du club, représentants des supporters et la Ville, accompagnée d’un mécanisme de suivi et d’évaluation.

« Le Racing Club de Strasbourg n’est pas seulement une équipe professionnelle : il constitue un patrimoine sportif, culturel et identitaire majeur pour notre ville« , souligne Soraya Ouldji, s’appuyant sur les études sociologiques démontrant que les clubs de football contribuent à la mémoire collective, à la cohésion locale et au sentiment d’appartenance.

« Strasbourg c’est nous » appelle au dialogue

La plateforme « Strasbourg c’est nous » formule trois demandes claires :

  • L’arrêt immédiat de la répression à l’encontre des supporters
  • La réouverture, avec l’intermédiaire de la municipalité, d’un dialogue sincère et transparent entre la direction et les groupes de supporters
  • Une remise à plat du projet sportif et institutionnel du Racing, avec des garanties sur son autonomie, son ancrage local et le respect de l’identité alsacienne du club

« Le Racing n’est pas une filiale, ni une direction, ni des joueurs. Le Racing, c’est Strasbourg et ses supporters« , conclut le communiqué.

Des supporters partagés mais inquiets

Interrogés par nos soins, plusieurs supporters expriment un malaise face à la situation. « Moi perso, je suis content de voir la tribune Est se bouger de manière ponctuelle« , confie l’un d’eux. « Le problème avec cette banderole, c’est qu’elle sous-entend que des gens ne soient pas derrière le club. Ce qui est faux.« 

Mais le doute persiste : « Une accréditation, ça ne veut pas dire grand-chose. Pour accéder à une tribune où on n’est pas abonné, il faut une accréditation. Ça peut très bien être des supporters du club qu’on a déplacés pour chanter« , nuance un autre. Avant d’ajouter : « Mais voir des gens avec des maillots tout neufs, membres d’une troupe de théâtre qui fait sa promo avant le match… ça pose question.« 

Le club, qui refusait jusqu’ici l’émergence d’un groupe de supporters structuré en tribune Est, accepte soudainement deux tambours, plusieurs capos et des banderoles sporadiques. « Comme quoi tout change« , ironise un abonné historique.

Une fracture profonde

Ce qui se joue à la Meinau dépasse largement le cadre sportif. C’est l’âme même du Racing qui est en jeu : celle d’un club populaire, ancré dans son territoire, fidèle à son histoire et à ses supporters. Face à une direction perçue comme pilotée depuis Londres, au service d’une stratégie de multipropriété éloignée des réalités locales, les Strasbourgeois réclament le respect de leur club.

La question posée par Soraya Ouldji en conseil municipal résonne désormais dans toute la ville : Strasbourg choisira-t-elle de défendre son Racing, ou laissera-t-elle la fracture s’élargir jusqu’au point de non-retour ?