Hier soir, l’Assemblée nationale a renversé le gouvernement de François Bayrou à l’issue d’un vote de confiance perdu. Cette chute spectaculaire n’est pas seulement un épisode parisien : elle s’enracine dans des fractures profondes, sociales, économiques et surtout territoriales. En Alsace, le sentiment d’abandon s’est renforcé, porté par deux symboles explosifs : la promesse non tenue de la sortie du Grand Est et la volonté de supprimer deux jours fériés.

Dans le Bas-Rhin, les députés ont exprimé cette fracture à travers un vote divisé, qui révèle plus largement l’ampleur du malaise alsacien.


Les votes des députés du Bas-Rhin

  • Sandra Régol (EELV – 1ʳᵉ circonscription) : a voté contre
  • Emmanuel Fernandes (LFI – 2ᵉ circonscription) : a voté contre
  • Thierry Sother (PS – 3ᵉ circonscription) : a voté contre
  • 🟢 Françoise Buffet (Renaissance – 4ᵉ circonscription) : a voté pour
  • 🟢 Charles Sitzenstuhl (Renaissance – 5ᵉ circonscription) : a voté pour
  • 🟢 Louise Morel (MoDem – 6ᵉ circonscription) : a voté pour
  • 🟢 Patrick Hetzel (LR – 7ᵉ circonscription) : a voté pour
  • Théo Bernhardt (RN – 8ᵉ circonscription) : a voté contre
  • 🟢 Vincent Thiébaut (Horizons – 9ᵉ circonscription) : a voté pour

Le Grand Est : une promesse brisée

La question de la sortie du Grand Est est au cœur de la colère. Depuis la fusion régionale de 2016, les Alsaciens n’ont cessé d’exprimer leur rejet de cette “méga-région” qui les noie dans un ensemble trop vaste. Malgré la création de la Collectivité européenne d’Alsace (CEA) en 2021, présentée comme une compensation, le sentiment dominant reste celui d’une trahison.

Les mobilisations de rue à Strasbourg et dans de nombreuses villes du Bas-Rhin ont montré la profondeur de cette opposition. Des associations citoyennes, comme “Unser Land”, mais aussi des élus locaux de tous bords, ont porté la voix d’une Alsace souhaitant retrouver son statut de région à part entière. Les sondages, régulièrement publiés depuis 2016, confirment une majorité d’Alsaciens favorables à la sortie du Grand Est.

François Bayrou avait laissé entendre, lors de sa nomination, que ce dossier pouvait être rouvert. Mais au fil des mois, le gouvernement a fermé la porte, affirmant que la cohésion du Grand Est primait sur toute revendication identitaire. Hier soir, lors du vote de confiance, les députés du bloc central (Renaissance, Horizons, MoDem, LR) ont confirmé cette ligne en votant pour le gouvernement. Pour beaucoup d’Alsaciens, c’est une promesse brisée, un camouflet supplémentaire.


Les jours fériés : un symbole culturel menacé

La suppression annoncée de deux jours fériés a été vécue comme une véritable provocation. En Alsace, où le droit local garantit des jours spécifiques (le Vendredi Saint et la Saint-Étienne), l’attachement à ces particularismes est fort. Même si la mesure visait des jours fériés nationaux, elle a immédiatement réveillé la crainte d’une remise en cause de l’identité religieuse et culturelle du territoire.

Pour les Alsaciens, les jours fériés ne sont pas qu’une question de calendrier : ils incarnent une différence, une continuité historique, un lien avec l’héritage concordataire. En proposer la suppression, dans un contexte d’austérité, a renforcé l’idée que le gouvernement Bayrou méconnaissait profondément les réalités locales.


Le 49.3 : une méthode rejetée

L’utilisation répétée du 49.3 par François Bayrou pour faire adopter ses budgets a nourri un sentiment de confiscation démocratique. En Alsace, où la revendication de proximité et de dialogue est centrale, cette méthode a été perçue comme l’incarnation d’un pouvoir autoritaire et parisien.

En choisissant de gouverner “par la force”, Bayrou a alimenté la fracture entre Paris et Strasbourg. De nombreux élus locaux y ont vu une atteinte au débat parlementaire, mais aussi un mépris du pluralisme territorial.


Un plan d’austérité qui pèse lourdement

Le plan de rigueur présenté par le gouvernement – 43,8 milliards d’euros d’économies – a provoqué une onde de choc. Suppression de jours fériés, réforme de l’assurance chômage, gel des investissements écologiques, taxation des colis importés, réduction des budgets des collectivités : autant de mesures qui touchent directement le quotidien des Alsaciens.

Dans le Bas-Rhin, où l’économie repose largement sur les PME et sur un tissu associatif dense, ces décisions suscitent des inquiétudes majeures. Les collectivités, déjà contraintes, redoutent un transfert de charges insoutenable. Les associations environnementales dénoncent l’abandon des engagements climatiques. Et les syndicats s’inquiètent d’un recul historique des droits sociaux.


Strasbourg au cœur de la contestation

Strasbourg, capitale européenne mais aussi cœur battant de l’Alsace, est redevenue le théâtre des mobilisations. Des cortèges se sont formés contre la réforme des jours fériés, mais aussi contre le maintien du Grand Est. La ville concentre toutes les tensions : siège d’institutions internationales, vitrine culturelle et politique, mais aussi symbole d’un territoire qui se sent ignoré par Paris.

La chute du gouvernement Bayrou confirme que ces colères locales ne peuvent plus être balayées d’un revers de main. Le Bas-Rhin, par ses votes et ses mobilisations, envoie un signal clair : l’Alsace n’acceptera pas de rester une simple périphérie du Grand Est, ni de subir des mesures d’austérité déconnectées de ses réalités.


Une fracture durable

Le rejet de Bayrou n’est pas seulement une défaite parlementaire : il marque une rupture durable entre l’Alsace et le pouvoir central. Tant que la question de la sortie du Grand Est restera sans réponse, tant que les particularismes alsaciens seront menacés par des mesures nationales, la tension restera vive.

L’Alsace, et particulièrement le Bas-Rhin, s’affirme plus que jamais comme un territoire où l’identité, la mémoire et la démocratie locale ne peuvent être ignorées. Le gouvernement suivant devra composer avec cette exigence, sous peine de voir l’histoire se répéter.