Le 22 août 1926, Colmar fut le théâtre d’un affrontement qui reste dans la mémoire collective comme l’un des épisodes les plus violents de l’histoire politique alsacienne. Ce jour-là, une réunion électorale du Parti communiste, organisée dans la salle des Catherinettes, dégénéra en véritable champ de bataille.
Dans une Alsace encore marquée par sa réintégration à la France après la Première Guerre mondiale, les tensions entre militants autonomistes et partisans pro-français éclatèrent au grand jour.
Le bilan fut terrible : 5 morts et plusieurs dizaines de blessés, victimes d’un conflit qui dépassait de loin la simple rivalité partisane.

Une Alsace fracturée entre identité régionale et appartenance nationale

Pour comprendre ce « dimanche sanglant », il faut se replonger dans l’ambiance de l’entre-deux-guerres. Depuis 1918, l’Alsace et la Moselle avaient réintégré la France après presque cinquante ans d’annexion allemande. Mais beaucoup d’Alsaciens vivaient ce retour avec ambivalence : ils tenaient à leur langue, leur culture et leurs spécificités institutionnelles, tandis que Paris imposait une vision centralisatrice.
Les autonomistes, nombreux à Colmar et Strasbourg, défendaient une autonomie régionale renforcée, voire une neutralité politique entre la France et l’Allemagne. Face à eux, les pro-français affirmaient leur attachement total à la République. Cette confrontation idéologique, portée dans la rue, mena au drame de 1926.

Colmar, Strasbourg, Mulhouse : des villes marquées par les luttes sociales et identitaires

L’histoire de Colmar ne fut pas isolée. À Strasbourg, les grandes manifestations ouvrières, tout comme à Mulhouse dans les quartiers industriels, portaient les mêmes revendications : reconnaissance des droits sociaux, respect des particularités alsaciennes et volonté d’exister face à Paris.
Le dimanche sanglant de Colmar s’inscrit ainsi dans une longue histoire de tensions entre la capitale et l’Alsace, où l’identité régionale a souvent été perçue comme un obstacle plutôt que comme une richesse.

Un héritage qui résonne encore dans l’Alsace d’aujourd’hui

Près de cent ans après ce drame, la question identitaire en Alsace n’a pas disparu. Bien au contraire. Depuis la création de la région Grand Est en 2016, imposée par la réforme territoriale, une large partie de la population locale exprime son désaccord.
Manifestations, collectifs citoyens, sondages : tout indique que de nombreux Alsaciens veulent sortir du Grand Est et retrouver une collectivité propre, avec un vrai poids politique et une reconnaissance de leurs particularités.

Les promesses politiques non tenues et le malaise actuel

En 2019, Emmanuel Macron et son gouvernement avaient promis un statut renforcé pour l’Alsace, avec la création de la Collectivité européenne d’Alsace (CEA). Mais dans les faits, les compétences transférées restent limitées, et l’intégration dans le Grand Est continue de nourrir la frustration.
À Strasbourg, Colmar comme ailleurs, beaucoup dénoncent un discours macroniste qui a « vendu » une autonomie sans réelle portée. Ce sentiment d’avoir été trompé par Paris n’est pas sans rappeler, dans les esprits, l’époque où les revendications locales étaient étouffées, parfois dans la violence.

Mémoire et actualité : pourquoi reparler du dimanche sanglant ?

Évoquer le 22 août 1926, c’est rappeler que l’Alsace a déjà payé cher son désir d’affirmer sa différence. Le dimanche sanglant de Colmar symbolise ce choc permanent entre une volonté régionale de reconnaissance et une logique centralisatrice de l’État.
Aujourd’hui encore, ce drame résonne : il invite à réfléchir sur la manière dont la France envisage ses régions, et sur la place que l’Alsace souhaite occuper dans l’avenir institutionnel du pays. Pour Strasbourg et tout le Bas-Rhin, revisiter cet épisode n’est pas seulement un exercice d’histoire, mais une clé pour comprendre le malaise actuel.