Il y a exactement 101 ans, le 6 juillet 1924, Strasbourg inaugurait en grande pompe l’Exposition coloniale, agricole et industrielle au Parc du Wacken, sous l’égide du ministre des Colonies Édouard Daladier. L’événement, voulu comme une vitrine du “génie colonial français”, a réuni plus d’un million de visiteurs en quelques mois. Mais derrière les chiffres et les pavillons, c’est une page sombre de l’histoire locale et nationale qui s’est écrite, à quelques minutes du centre-ville.
🎪 Un décor spectaculaire pour une idéologie brutale
Avec ses 2000 exposants, ses allées bordées de palmiers, ses minarets décoratifs et ses “souks” reconstitués, l’exposition se voulait immersive. On y venait pour admirer les “richesses” de l’Empire colonial français : ressources, artefacts, produits agricoles… et êtres humains. Car l’un des points centraux de l’événement, c’était le “village africain”. Des hommes, des femmes et des enfants venus d’Afrique étaient installés là pour être observés, mis en scène, photographiés. On ne parlait pas de participants : on parlait d’“exotiques”, réduits à l’état de curiosités vivantes, au même titre que les animaux dans un cirque.

🧱 Le Wacken, théâtre d’un racisme institutionnalisé
Ce n’était pas un dérapage, mais un projet d’État. Orchestré par les ministères des Colonies et du Commerce, validé par les autorités locales, mis en œuvre avec les grands industriels du Bas-Rhin, cet événement avait une finalité claire : légitimer la domination coloniale et imposer un récit hiérarchisé du monde, où les peuples colonisés étaient décrits comme arriérés, pittoresques, inférieurs. On pouvait y voir des danses “malgaches”, des “théâtres annamites”, des “sujets coloniaux” jouant leur propre caricature, souvent sous contrainte.

🗺️ Une mémoire encore trop peu interrogée à Strasbourg
Le parc du Wacken a changé, les constructions ont disparu, mais les archives, les affiches, les objets – et surtout les silences – sont toujours là. À l’Université de Strasbourg, certaines collections ethnographiques issues de cette période sont conservées. Mais peu de lieux publics évoquent ce passé. Pourtant, cette histoire locale doit être connue, car elle dit beaucoup de ce que Strasbourg représentait pour l’État français au lendemain de la Première Guerre mondiale : un terrain d’expérimentation de l’unité nationale par l’idéologie coloniale.

❌ Ni folklore, ni curiosité : un système de domination
L’exposition coloniale de 1924 n’était pas une fête populaire innocente. C’était une opération politique, raciste dans sa conception comme dans sa mise en œuvre. Strasbourg y a pleinement pris part, au même titre que Paris quelques années plus tard. La mémoire de cet événement ne peut être abordée avec nostalgie, ni réduite à une “ambiance d’époque”. Il s’agit d’un symbole de la violence coloniale, installée au cœur même de l’espace public, dans l’indifférence complice d’une grande partie de la population.
