Une avancée scientifique majeure publiée dans Nature Nanotechnology par des chercheurs de l’Université de Strasbourg et du CNRS
Et si la matière devenait capable de s’auto-organiser, de se réparer et d’évoluer en fonction de son environnement, simplement sous l’effet de la lumière ? C’est le pari réussi par une équipe de scientifiques strasbourgeois, dirigée par les professeurs Nicolas Giuseppone (Institut Charles Sadron, CNRS) et Jean-Marie Lehn (Institut de Science et d’Ingénierie Supramoléculaires, CNRS/Université de Strasbourg). Leurs travaux, publiés le 23 mai dans la prestigieuse revue Nature Nanotechnology, marquent une avancée décisive dans le domaine des matériaux intelligents.
L’équipe a mis en évidence un phénomène jusqu’alors inédit : des moteurs moléculaires artificiels, une fois activés par lumière, sont capables de transformer une matière amorphe – désorganisée, sans fonction particulière – en une matière structurée à l’échelle nanométrique. Ce processus d’auto-organisation, inspiré du vivant, ouvre la voie à une nouvelle génération de matériaux dynamiques.
La lumière comme déclencheur de l’ordre
Dans les cellules biologiques, les moteurs moléculaires sont bien connus pour leur rôle clé dans l’organisation interne de la matière. Les chercheurs strasbourgeois ont reproduit ce mécanisme avec des moteurs rotatifs artificiels, capables de s’assembler à l’interface air-eau pour former une couche initialement désorganisée. Mais tout change lorsqu’une lumière l’illumine : les moteurs s’activent, tournent, et déclenchent un processus de polymérisation supramoléculaire. Résultat : la matière s’organise spontanément en fibres parfaitement alignées et régulières, visibles uniquement à l’échelle du nanomètre.
« C’est un peu comme si le moteur d’une voiture déclenchait, par sa rotation, toute une série de transformations moléculaires », explique le professeur Giuseppone dans le communiqué.

Effet de l’irradiation lumineuse sur la nanostructuration d’une monocouche de Langmuir constituée de moteurs moléculaires (sans le noir (a) ; à la lumière après 1 min (b) et après 1 heure (c)).
Des matériaux qui se réparent eux-mêmes
Plus étonnant encore : si ce matériau structuré est abîmé, il redevient amorphe. Mais il suffit d’une nouvelle impulsion lumineuse pour qu’il se réorganise exactement comme auparavant, comme s’il se souvenait de sa structure initiale. Cette capacité d’auto-réparation ouvre des perspectives fascinantes, notamment pour l’électronique, la robotique ou encore les matériaux de construction adaptatifs.
Les scientifiques ont utilisé la microscopie à force atomique, une technique de pointe permettant de « lire » la surface d’un matériau avec une précision atomique. Cela leur a permis d’observer en temps réel la transition de la matière : du désordre initial à la formation de fibres nanométriques organisées.

Vers une nouvelle ère des matériaux actifs
Cette découverte made in Strasbourg pourrait révolutionner plusieurs domaines technologiques :
- Conception de nanocircuits électroniques grâce à des fibres conductrices organisées,
- Création de surfaces dynamiques modifiables à la demande par la lumière,
- Contrôle sur mesure des propriétés mécaniques des matériaux (souplesse, rigidité…).
Derrière cette percée se trouve aussi une dynamique européenne : l’étude a été financée par le réseau de formation innovante ArtMoMa du programme Horizon 2020, qui soutient la recherche collaborative en Europe et forme une nouvelle génération de jeunes chercheurs.
Avec cette avancée, Strasbourg s’affirme une fois de plus comme un haut lieu de la recherche en chimie supramoléculaire, capable d’allier science fondamentale et potentiel industriel.
