C’était un vendredi, il y a exactement 68 ans. En plein centre de Strasbourg, au sein de la préfecture du Bas-Rhin, un attentat aussi mystérieux que meurtrier frappait la ville. Ce 17 mai 1957, Henriette Trémeaud, épouse du préfet André-Marie Trémeaud, trouvait la mort en ouvrant un colis piégé. L’affaire, restée sans coupable pendant plusieurs décennies, a marqué durablement les mémoires locales et nationales.
Une boîte de cigares piégée
L’attentat se déroule vers 12h54, dans les salons de la préfecture, place de la République. Un colis, apparemment anodin, est ouvert par Henriette Trémeaud en l’absence de son mari. Il s’agit d’une boîte de cigares envoyée quelques jours plus tôt. Elle renferme en réalité un explosif artisanal à base de peroxyde d’acétone, un puissant détonant utilisé dans les attentats clandestins.
L’explosion est foudroyante. Henriette Trémeaud meurt sur le coup. Elle est la seule victime de cette attaque, qui choque profondément les Strasbourgeois et mobilise aussitôt les autorités.

Une enquête internationale
Très vite, les enquêteurs français évoquent la piste d’un attentat politique. À l’époque, la Guerre froide bat son plein, et Strasbourg, ville stratégique à la frontière allemande et siège d’institutions européennes, devient un terrain potentiel d’affrontements indirects.
Initialement, un groupuscule néonazi allemand se revendiquant du nom de Kampfverband für unabhängiges Deutschland est soupçonné. Mais les services français, notamment la DST, expriment des doutes quant à la crédibilité de cette piste. Un non-lieu est prononcé dès 1958, faute de preuves suffisantes.

Les révélations post-Guerre froide
L’affaire reste longtemps sans suites. Ce n’est qu’à la fin des années 1960 que les premières révélations émergent. Deux transfuges des services secrets de l’Est – Ladislav Bittman et Josef Frolik – apportent des éléments nouveaux. Tous deux affirment que l’attentat a été organisé par la StB, les services secrets tchécoslovaques, dans le cadre d’une opération de déstabilisation visant la France et la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), alors en pleine expansion.
Selon leurs témoignages, l’opération aurait été baptisée « Strasbourg » ou « Svastika », et aurait visé à faire croire à une attaque d’extrême droite pour semer la discorde entre pays occidentaux.
Ces révélations sont confirmées dans les années 1990, lorsque les archives de la StB sont partiellement ouvertes après la chute du bloc de l’Est. Le Bureau tchèque de documentation sur les crimes du communisme identifie quatre agents impliqués : Milan Kopecky, Stanislav Tomes, Robert Ther et Miroslav Kouba.

Un crime resté impuni
Malgré ces avancées, l’affaire ne sera jamais jugée. Deux des agents impliqués décèdent avant d’être inquiétés. Les deux autres font l’objet d’une procédure ouverte en République tchèque, mais celle-ci est suspendue en 2006 pour raisons médicales. Aucun procès n’aura donc lieu, et aucune condamnation ne sera prononcée.

Une mémoire locale marquée
À Strasbourg, peu de plaques ou de commémorations rappellent cet événement, pourtant unique dans l’histoire de la ville. Il s’agit de l’un des rares cas d’attentat politique mortel survenu sur le territoire français pendant la Guerre froide. La mort d’Henriette Trémeaud reste un symbole discret d’une époque troublée où les conflits internationaux pouvaient frapper jusque dans l’intimité des institutions locales.
En ce 17 mai 2025, alors que la ville commémore d’autres épisodes marquants de son histoire, il est essentiel de ne pas oublier ce drame singulier qui, pendant des décennies, est resté un mystère soigneusement dissimulé derrière les tensions géopolitiques du XXe siècle.
