Le dernier Conseil municipal de l’année 2024 à Strasbourg, tenu le 9 décembre, a réservé son lot de débats intenses et de prises de position tranchées. Parmi les points à l’ordre du jour, le Rapport d’Activité et de Développement Durable (RADD) pour 2023 a cristallisé les échanges, offrant un aperçu des fractures politiques qui traversent l’hémicycle strasbourgeois. Ce document, qui se veut une photographie annuelle des avancées et des défis dans les domaines sociaux, économiques et environnementaux, a fait l’objet de critiques acerbes, notamment de la part de l’opposition.

Une présentation ambitieuse, mais controversée

C’est Marc Hoffsess, élu de la majorité municipale, qui a ouvert la discussion en présentant ce rapport. Il a décrit un bilan tourné vers l’action et l’avenir : « De notre côté, nos objectifs restent inchangés : soulager le quotidien, sécuriser le lendemain, réparer le présent et préparer le futur. » Un discours qui se voulait rassembleur et porteur d’espoir, mais qui n’a pas convaincu l’opposition.

Céline Geissmann, membre du groupe Faire Ensemble, s’est montrée particulièrement critique. Elle a souligné la disparition d’un nombre significatif d’indicateurs de suivi par rapport aux éditions précédentes : « Pour être précise, c’est 113 indicateurs manquants sur 197, c’est édifiant. » Elle a également dénoncé un manque d’efficacité dans l’action municipale, répétant à plusieurs reprises : « De moins en moins d’indicateurs, toujours aussi peu de résultats. » Pour Geissmann, ce rapport reflète une politique déconnectée des attentes des citoyens et marquée par un déficit de transparence.

Écologie, pauvreté, transport : des visions divergentes

Pierre Jakubowicz, du groupe Centristes & Progressistes, a fustigé ce qu’il considère comme un manque de pragmatisme et de cohérence : « À lire ce rapport, on voit à quel point sur les enjeux écologiques vous brassez du vent. » Il a également plaidé pour un soutien explicite de Strasbourg à la relance de la production nucléaire au niveau national : « Si d’ici 2050, Strasbourg et son Eurométropole espèrent consommer une énergie n’ayant pas provoqué d’émission de gaz à effet de serre, elle doit soutenir la politique nationale de relance de la production nucléaire. »

Aurélien Bonnarel, du groupe pour la Justice Sociale et l’écologie populaire, a mis en avant les réussites concrètes de la municipalité, notamment dans le domaine des transports en commun. Il a rappelé avec fierté l’impact de la gratuité des transports pour les jeunes : « 30 000 jeunes étaient abonnés à la CTS, ce chiffre est passé à 70 000 jeunes abonnés en 2023. Les élus communistes qui avaient fortement bataillé pour la gratuité des transports se félicitent de la réussite de cette mesure qui favorise l’utilisation du transport collectif, tout en réduisant l’empreinte carbone. »

Mais les préoccupations sociales ont également occupé une place importante dans le débat. Jean-Philippe Vetter, du groupe Union de la Droite et du Centre, a rappelé les chiffres alarmants de la pauvreté à Strasbourg : « 35 000 ménages sont sous le seuil de pauvreté, le taux à Strasbourg est de 26 %, l’augmentation du RSA est de 30 % dans nos quartiers populaires. » Des propos qui ont trouvé un écho chez Hulliya Turan, du groupe pour la Justice Sociale et l’écologie populaire, qui a exprimé son inquiétude face aux difficultés croissantes des Strasbourgeois : « Se nourrir, payer ses factures, vivre dans un logement répondant à ses besoins, se chauffer et remplir son frigo sont des préoccupations quotidiennes pour bon nombre de concitoyennes et concitoyens ici même dans la capitale de Noël. Beaucoup devront se contenter d’un Noël à la diète, la magie sera loin d’être au rendez-vous. »

Une confrontation politique qui dépasse le local

La séance a été brièvement suspendue à la demande de Nicolas Matt avant de reprendre sur un ton tout aussi passionné. Syamak Agha Babaei, 1er adjoint à la mairie de Strasbourg, a dénoncé ce qu’il perçoit comme une contradiction dans les discours de l’opposition : « Jean-Philippe Vetter nous parle de lutte contre la pauvreté, et que, à la Collectivité Européenne d’Alsace, le projet Territoire zéro chômeurs longue durée, c’est quelque chose qui ne passe pas pour 20 000 euros de subventions. » Il a conclu en fustigeant le climat général des débats : « Tout ça, finalement, ce n’est qu’un théâtre. »

Pierre Jakubowicz, de son côté, a reproché à la majorité de détourner les débats municipaux vers des enjeux nationaux : « Nous voyons bien la nouvelle stratégie qui est la vôtre depuis plusieurs conseils municipaux : transformer cet hémicycle du CM en annexe de l’Assemblée nationale, convoquer en permanence la politique nationale. ». Face à cette digression, la maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian, a dû intervenir pour recadrer Pierre Jakubowicz, lui demandant de rester sur le sujet du RADD, ce à quoi l’élu a répliqué : « Plus le mandat avance, plus la pratique démocratique vous irrite. »

Un débat symptomatique des fractures locales

Le Conseil municipal du 9 décembre a offert un aperçu saisissant des tensions qui traversent la politique locale à Strasbourg. Si le Rapport d’Activité et de Développement Durable 2023 se voulait un document de bilan et de projection, il a finalement servi de catalyseur pour des confrontations idéologiques, entre aspirations écologiques, défis sociaux et positionnements sur les enjeux nationaux. À l’approche de 2025, ces débats soulignent la complexité des enjeux auxquels Strasbourg devra faire face, mais aussi l’importance d’un dialogue constructif pour dépasser les clivages.